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BOKY Etat, économie et société coloniale à Madagascar - Jean Fremigacci
Madagascar est secoué par des crises politiques récurrentes depuis plus de 40 ans. Cette instabilité traduit un problème de gouvernance qui n’a rien de conjoncturel, mais qui résulte du fossé qui s’est constamment creusé depuis deux siècles entre les populations et les oligarchies successives qui ont monopolisé le pouvoir et les richesses du pays.
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© 2014, Karthala
16 pages de photos en noir et blanc
Madagascar est secoué par des crises politiques récurrentes depuis plus de 40 ans. Cette instabilité traduit un problème de gouvernance qui n’a rien de conjoncturel, mais qui résulte du fossé qui s’est constamment creusé depuis deux siècles entre les populations et les oligarchies successives qui ont monopolisé le pouvoir et les richesses du pays. De ce point de vue, l’État royal du XIXe siècle, l’État colonial du XXe puis l’État post-colonial ont été en continuité. L’ère coloniale (1895-1960) a été un moment essentiel dans cette évolution.
Elle a mis en place en effet un État autoritaire et bureaucratique dont le modèle s’inspirait beaucoup plus de celui de la France d’Ancien Régime que de l’État moderne capable de mettre en oeuvre un processus de développement. L’administrateur est bien l’héritier de l’Intendant royal de police, justice, finances, et ses moyens au service de la « mise en valeur » se résument au recours à différentes formes de travail forcé (Prestations, réquisition, travail pénal) qui pèsent d’autant plus lourdement que, assez contradictoirement, le pouvoir se lance dans des entreprises de modernisation avec des moyens archaïques, et que la croissance économique est fortement freinée par les contraintes du pacte colonial.
Facteur aggravant, le Fanjakana frantsay, le gouvernement des Français, a dû assumer le fardeau d’une société coloniale déjà largement constituée à la veille de la conquête française, et dont celle-ci a consolidé les cloisonnements, les mentalités et des comportements hérités de l’âge de l’esclavage et du mercantilisme. Une oligarchie coloniale et un petit colonat surtout créole ont pu ainsi, malgré leur faible dynamisme économique, peser d’un poids très lourd dans le sens d’une accentuation de la contrainte sur les populations. L’insurrection de 1947 devait montrer que le fossé entre le Fanjakana, les gens du pouvoir, et la masse de la population était plus profond que jamais.
Jean Fremigacci est historien de la colonisation. Il a enseigné à l’université de Tananarive puis à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Ses recherches actuelles portent sur l’insurrection de 1947 et la décolonisation de Madagascar. Il a récemment co-dirigé Démontage d’Empires (Ed. Riveneuve, 2013).